L’augmentation annoncée du nombre de places en études de médecine interroge (2024)

Publié le 02 mai 2024 par Chloé de Cours Thalès.

Alors que le gouvernement français envisage d’augmenter significativement le nombre de places en études de santé d’ici 2027, plusieurs questions se posent quant à la faisabilité et l’impact de cette mesure. Certes, on pourrait avoir envie de mettre ces interrogations sur un caractère prétendument bien français : serait-on un peuple « jamais content » ? Alors que cette ouverture des études de santé à un nombre plus important d’étudiants est demandée depuis de longues années, voilà qu’on rechignerait maintenant à en accepter les éventuelles conséquences ? Pourtant, même si la mesure semble répondre au manque de médecins dans des déserts médicaux qui s’étendent, elle demande à relever plusieurs défis difficiles.

Le gouvernement veut augmenter le nombre d’étudiants en santé pour faire face au risque des déserts médicaux

La France paie encore aujourd’hui les effets du numerus clausus

Le « numerus clausus » a été mis en place en France en 1971. Ce système a été conçu pour limiter le nombre d’étudiants en médecine. L’objectif était principalement de répondre à un contexte de surabondance des professionnels de santé et, plus marginalement, de contrôler les coûts d’un enseignement médical jugé trop dispendieux. Chaque année, le ministère de la Santé fixait le nombre d’étudiants en médecine à recruter, principalement en fonction de la population médicale présente sur le territoire.

En 1970, les écoles de médecine ont intégré 8 500 étudiants. L’effet du numerus clausus est très vite devenu sensible. En 1980, les universités de santé ont recruté 7121 étudiants ; en 1990 4000, pour atteindre au plus bas en 1993 3 500 étudiants reçus. L’effet a été une diminution progressive de la densité médicale, exacerbée par un grand nombre de départs à la retraite simultanés à la fin des années 2010 et pendant les années 2020. L’élévation progressive du recrutement des étudiants qui a repris dès les années 2000 n’a pas suffi à combler ces manques. En 2010, 7 400 étudiants étaient admis en études de santé, pour atteindre 9361 en 2020.

Les études de santé durant 8, 9 ou 10 ans, voire plus, le recrutement d’un élève en médecine ne trouve son plein effet que bien après son intégration à l’université. Les gouvernements successifs ont ainsi mal anticipé le double effet du faible nombre de jeunes en formation et du grand nombre de médecins formés dans les années 1960-1970 atteints par la limite d’âge.

Les zones sans médecins continuent de s’étendre

La réduction du nombre de médecins en exercice, conséquence directe du numerus clausus, a entraîné une hausse significative des zones à faible densité médicale, les « déserts médicaux ». Par ce terme, on désigne les espaces dans lesquels le nombre de médecins et de professionnels de santé pour 100 000 habitants est « faible », soit bien en dessous de la moyenne française de 300 médecins en activité pour 100 000 habitants.

Aujourd’hui, différents rapports estiment que cette notion de désert médical concerne une commune sur trois, touchant environ 10 % de la population, soit entre 6 et 8 millions de personnes. Dans ces zones, l’accès aux soins est sérieusem*nt compromis, affectant la santé des populations dans ces territoires. La baisse de la densité médicale dans ces zones est d’autant plus critique que les médecins restants vieillissent, beaucoup approchant de l’âge de la retraite.

Quelles ont été les différentes mesures prises par les gouvernements depuis 2017 ?

La réforme des études de santé de 2018 était destinée à augmenter le nombre de médecins

Annoncée en 2018, la réforme des études de santé a vu le jour en 2020. L’objectif premier en était de permettre un recrutement plus ouvert dans les études de santé, et de former plus d’étudiants. La réforme remplaçait la Première année commune aux Études de Santé (PACES) par deux nouvelles voies d’accès alternatives : le Parcours d’Accès spécifique Santé (PASS) et la Licence Accès Santé (L.AS).

Le PASS, remplaçant la PACES, est une première année d’études centrées sur la santé, mais exigeant de suivre également une discipline mineure dans un autre domaine académique. À l’issue de l’année de PASS, un examen encore très sélectif, oriente les candidats soit :

  • vers une deuxième année en études de santé, leur permettant de suivre le cursus complet pour devenir médecin ou professionnel de santé,
  • ou, si les résultats pour intégrer les études de santé sont insuffisants, vers un cursus dans la mineure étudiée.

Le redoublement n’est pas autorisé. Par contre, en cas d’échec en PASS, il est possible aux étudiants recalés de s’inscrire en L.AS. Celle-ci est un peu le miroir du PASS. L’étudiant suit une majeure dans une discipline autre que la santé, scientifique ou pas, et une mineure en santé. Selon ses résultats dans les deux disciplines, il peut prétendre à rejoindre une formation en filière MMOPK (médecine, maïeutique, odontologie, pharmacie et kinésithérapie) en fin de première ou de seconde année de L.AS.

Le passage du numerus clausus au numerus apertus marque aussi une modification importante dans la gestion des admissions en médecine. Il laisse en effet aux facultés une plus grande autonomie pour déterminer le nombre de places disponibles et les critères de sélection.

Malgré cette réforme ambitieuse, le nombre d’étudiants en santé n’a pas suffisamment augmenté pour combler les manques actuels. En 2018, avant la réforme, environ 9 000 étudiants étaient inscrits en deuxième année de médecine. Ce chiffre a légèrement progressé à 9,570 en 2020, puis est monté jusqu’à 11 000 en 2022, pour redescendre à 10 000 en 2023.

Parallèlement, des mesures ont été prises pour limiter les déserts médicaux

Le « Pacte territoire santé », élaboré entre 2015 et 2017, a introduit plusieurs mesures telles que le développement de la télémédecine et le soutien financier pour l’emploi d’assistants médicaux, qui visent à alléger les tâches administratives des médecins. Des incitations ont été proposées pour encourager les médecins à la retraite à continuer de pratiquer, afin de pallier temporairement le manque de professionnels de santé dans les zones à faible densité médicale. Toutefois, les tentatives d’incitation pour l’installation de jeunes médecins dans des zones sous-denses n’ont pas, pour le moment, porté leur fruit.

Le Premier ministre annonce un bond spectaculaire : 16 000 étudiants intégreraient les études de santé en 2027

Début avril 2024, le Premier ministre Gabriel Attal a fait une nouvelle annonce très ambitieuse : augmenter le nombre de places en deuxième année d’études de santé à 12 000 dès la rentrée 2025, puis à 16 000 en 2027. Cela représente une augmentation de 70 % par rapport aux chiffres de 2019. Si l’engagement est louable, beaucoup s’interrogent sur la faisabilité d’une telle mesure. Les conséquences pratiques en ont-elles été bien pensées ?

Comment éviter les risques d’une augmentation spectaculaire du nombre d’étudiants en santé ?

Le problème d’un éventuel sous-dimensionnement des enseignements

L’inquiétude majeure des doyens des facultés de médecine, ainsi que des étudiants, réside dans le risque d’engorgement des établissem*nts. L’augmentation impressionnante du nombre d’étudiants en santé soulève des questions légitimes sur la faisabilité de cette expansion. Benoît Veber, président de la conférence des doyens de médecine, exprime ses préoccupations : « On nous demande d’ici 2027 de créer 120 places supplémentaires par faculté, je ne sais pas comment on va faire ». Ce sentiment est largement partagé parmi les responsables des universités de médecine, qui s’interrogent sur la capacité des facultés à absorber une telle augmentation sans compromettre la qualité de l’enseignement.

Pour pouvoir faire face à cette augmentation de plus de 50 % des étudiants en quatre ans, il serait nécessaire de recruter un grand nombre d’enseignants. Mais entre un manque de moyens criant et le temps qu’il faut pour former des enseignants, la partie semble loin d’être gagnée. « Nos formations doivent rester de qualité or, il nous faut plus d’enseignants, de maîtres de conférences, de chefs de cliniques et tout cela ne se fait pas en deux minutes », commente ainsi Benoît Veber. Sans compter le simple problème de la place dans les locaux pour accueillir tant d’élèves supplémentaires.

Enfin, les études de médecine reposent dès la seconde année sur des stages d’externat puis, en sixième année d’internat. Jérémy Darenne de l’Université de Strasbourg explique bien le problème : « Pour nos stages d’observation en deuxième et troisième années, on va déjà dans les chambres des patients par groupe de huit », ce qui n’est pas idéal pédagogiquement ! Ni pour les patients. Comment gérer cette situation ? Pour l’instant, nul ne le sait.

Certains se demandent si cette mesure n’est pas trop tardive.

Par ailleurs, tous voient bien que le plein effet de cette augmentation du nombre d’élèves sera atteint en 2037 : à cette date les premiers contingents des promotions à 16 000 étudiants se retrouveront sur le terrain, en mesure d’exercer leur métier. Or, les déserts médicaux sont un problème critique aujourd’hui. La situation dans certaines zones à très faible densité médicale nécessite des actions rapides pour garantir l’accès aux soins, ce à quoi ne contribue aucunement l’augmentation actuelle du nombre de personnes en formation.

De plus, en 2037, lorsque les 16 000 étudiants formés annuellement débuteront leur carrière, tout porte à croire que le pic du problème sera déjà derrière nous. Pourquoi ? À ce moment, le nombre de départs en retraite de médecins atteindrait son taux le plus bas, selon Benoît Veber. Ce seront en effet les médecins formés pendant les plus dures années du numerus clausus. Beaucoup moins nombreux, leur départ sera certainement peu impactant dans une population médicale plus jeune.

Cette dynamique risque même de conduire à un trop-plein de médecins dans certains domaines, compte tenu de l’évolution des besoins médicaux et de l’impact attendu des technologies comme l’intelligence artificielle. Ainsi, Emmanuel Touzé, doyen de la faculté de médecine de Caen, reconnaît le manque de travaux prospectifs sur l’évolution future des besoins en médecine, ce qui complique la planification à long terme des formations et des recrutements nécessaires.

L’augmentation annoncée du nombre de places en études de médecine interroge (2024)

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